Le coin

Nous entendons beaucoup des parents qui disent mettre leur enfant au coin. Apparemment certains pédiatres conseillent encore aux parents de punir leur enfant et de le mettre « à réfléchir » au coin (un certain temps, et selon son âge). Et pourtant… pourtant plein de nouvelles connaissances en neurosciences mettent en lumière l’inefficacité des punitions et leur coté néfaste pour la construction de l’enfant et son estime de soi. Les mœurs et les mentalités ont évolué grâce aux nouveaux éclairages concernant l’enfant et son développement, ainsi que l’impact que les punitions peuvent avoir sur l’enfant.
Les crèches ne punissent plus les enfants (en théorie !) alors que cela se faisait autrefois… dans un cadre familial, il arrive que les parents, parfois démunis face aux comportements transgressifs de leur enfant, punissent encore, et utilisent ce fameux « coin ».
En tant que professionnelles, nous observons beaucoup les jeux des enfants. Quand ils sont en âge de parler et sont dans le « symbolique » et l’imitation (entre deux et trois ans), il leur arrive de rejouer des scènes vécues. Le coin, ainsi que les punitions reviennent souvent dans leurs jeux (ils se fâchent contre les poupées, entre eux, ils nous « punissent » même nous, adultes !). Les enfants ayant la parole nous éclairent souvent sur ce qui se passe à la maison, il suffit de les observer.
Cette éducation par les punitions soulève alors des questionnements… pourquoi punit-on les enfants ? Quels intérêts et bénéfices pour les enfants ? et les adultes ? En quoi le « coin » est-il une punition qui perdure ? Comment faire autrement ? Autant de questions sur lesquelles il est intéressant de réfléchir…

La « BÊTISE » et « LE COIN »


 
Selon les partisans des punitions, tout acte qualifié de « bêtise » mérite une punition. La punition étant une condamnation pour un acte (d’un enfant), jugé comme non conforme à quelque chose (la non-conformité d’un acte est du point de vue de l’adulte).
Nous pouvons déjà nous interroger sur le terme de « bêtise ». C’est une notion très subjective, qui peut avoir une définition variable selon les adultes. Une bêtise serait une action de l’enfant qui ne plait pas à l’adulte, parce que ce dernier a décidé que cette action est répréhensible.
Exemple d’une bêtise du point de vue d’un adulte : Léo attrape un verre d’eau et le renverse volontairement en regardant l’adulte. Cette action, vue par l’enfant : « je suis curieux et j’ai voulu faire une expérience, voir comment l’eau tombait… j’ai regardé maman pour lui montrer que je faisais une nouvelle expérience, et m’assurer qu’elle me soutient ».
Du point de vue de l’adulte, il y a acte répréhensible… mais pas du point de vue de l’enfant ! Bref. C’est à ce moment-là que la punition peut tomber : « je te l’ai déjà dit 100 fois de ne pas toucher au verre ! Et en plus, tu me provoques ! Va au coin pour réfléchir à ta bêtise ! » (Cet exemple de bêtise est un peu disproportionné, mais il tend à montrer que les actes de l’enfant ne sont pas faits pour nous provoquer, nous, adultes, mais qu’ils cachent souvent un besoin, une expérience, un moyen d’attirer une attention).
Dans la tête d’un adulte, l’idée qui se cache derrière le « coin » est d’isoler, c’est de mettre l’enfant à réfléchir à ce qu’il a fait de mal. Et d’ailleurs qu’a t’il fait vraiment de mal ? Il est monté sur une table ? Il a « bravé » un interdit ? En est-il conscient que ce soit interdit ? Pourquoi brave t’il cet interdit alors ??? N’y a-t-il pas une raison sous-jacente ?? Bref, tout cela pour dire qu’il peut être intéressant de se questionner avant tout sur le « pourquoi » fait-il ça ? Est-ce vraiment une « bêtise » ?
Admettons qu’il y ait un acte répréhensible, que l’enfant ait dépassé les limites. Cela arrive, oui. Les parents, fatigués après une journée de travail, ont les nerfs qui sont mis à rude épreuve. Et donc s’ensuivent cris, gros yeux, et un « vas au coin pour réfléchir ». Donc, il s’agit d’aller au coin pour réfléchir ? Mais pensez-vous qu’un enfant d’un, deux ou même trois ans, soit en capacité d’avoir ce recul sur ce qu’il vient de faire ?
Un enfant en dessous de 4-5 ans n’est pas en capacité de réfléchir à ce qu’il a fait de mal. Il n’a peut-être même pas conscience que ce qu’il a fait est mal, selon son âge et ses capacités de compréhension.
Autre argument entendu par des adultes convaincus par les punitions : il faut bien « recadrer », ne pas laisser passer les choses. Il faut « marquer le coup ». Certes, mais notre rôle d’adulte est d’accompagner dans la compréhension de ce qui est répréhensible. Une mise à l’écart ne l’aide aucunement à comprendre ce qu’il a fait de mal, et ne l’aide pas à faire autrement. Cela permet juste d’écarter l’enfant, et de soulager le parent, se sentant alors plus « puissant » que son enfant ! Comme toutes les punitions, le « coin » n’a pas un effet positif sur l’enfant.
Si nous agissons ainsi en tant qu’adultes, c’est tout simplement que nous avons tous connu au moins une fois dans notre vie, ce fameux « coin ». Il est ancré en nous, comme quelque chose qui se fait, comme un « réflexe » ancien. C’est quelque chose que l’on connait, que l’on a vécu, et qui ne nous a pas traumatisé en apparence. Certes, mais maintenant que nous avons des éclairages sur l’inefficacité et les conséquences des punitions, il est temps de changer ces habitudes ancrées en nous !

LE COIN : une punition inefficace et néfaste


 
Punir est inefficace. Pourquoi ? Parce que dans la tête de l’enfant : « je fais une bêtise = je vais au coin et ça efface la bêtise. Donc je peux recommencer autant de fois que je veux ». C’est souvent le cas des enfants qui se mettent tout seul au coin. L’enfant pense que la punition efface l’action. Ce n’est pas du tout constructif pour lui, et parfois cela devient même un jeu. Le « coin » n’a pas vraiment d’impact.
La punition et l’isolement répétitifs entrainent le développement du sentiment de honte et d’humiliation. « Je suis exclu, mis à l’écart, pour des raisons que je ne comprends même pas… »
Vous l’observerez si vous usez de cette pratique, mais « le coin », au bout d’un moment, ne fait plus effet, et devient un « jeu » pour l’enfant. Ce qui peut avoir le don d’énerver davantage l’adulte, qui va, de ce fait, durcir les punitions (privé de dessert, privé de telle ou telle chose…). Il y a forcément à un moment donné, une escalade dans les punitions, elles deviennent de plus en plus « dures », et « insensées ». S’ensuit une guerre « parent – enfant », dans laquelle le parent use de son pouvoir pour se faire écouter, et avoir de l’autorité. Alors que l’autorité du parent est naturelle, et ne devrait pas passer par « qui est le plus fort ».
Le coin, qui peut avoir une logique dans la tête du parent, n’en a en fait pas dans la tête de l’enfant. Il s’agit tout simplement d’une punition n’ayant pas de sens, et n’est absolument pas efficace ni bénéfique pour l’enfant, bien au contraire…

PUNITION VS SANCTION


 
Il existe une distinction entre punition et sanction. La tendance est de confondre les deux. Or, ce sont deux approches différentes ! Intéressons-nous de plus près à ces deux termes…
La punition selon le dictionnaire Larousse est une « peine infligée pour un manquement à un règlement ». Elle est une réaction à un comportement perçu comme une transgression ou une faute, et a pour objectif de faire cesser le comportement inadéquat le plus vite possible. Souvent la punition est donnée – non pour réparer, mais pour accentuer la culpabilité ou servir d’exemple. La punition est de l’ordre de la répression et de la soumission. Le plus fort (l’adulte) utilise son pouvoir, et de la crainte, pour faire « obéir » le plus « faible » (l’enfant). Punir c’est assez aléatoire et les punitions sont souvent liées à l’émotionnel du parent (qui peut se sentir fatigué, dépassé).
La sanction, quant à elle, s’inscrit dans une dimension réparatrice. Elle est justifiée par des règles connues par tous et acceptées par avance. L’objectif de la sanction est de faire comprendre à l’enfant en quoi son comportement était inadapté et lui permettre d’apprendre un comportement plus adéquat. Dans cette perspective, certains pédagogues préconisent la mise en œuvre de ce qu’on appelle des « conséquences logiques » plutôt qu’une punition. La différence se situe dans le lien entre la transgression et la conséquence logique. Cette dernière constitue un objectif d’apprentissage. La sanction (ou conséquence logique) implique ainsi une action adaptée et logique face au comportement qui a été inadapté. Il y a ainsi la notion de sens, mais également de réparation, qu’il n’y a pas dans la punition.
Lorsqu’un enfant dépasse les limites, transgresse les règles, il s’agit de réfléchir à une sanction adaptée, qui soit en lien et qui ait du sens avec ce qu’il a fait. Le coin ne veut rien dire pour l’enfant. Soit il s’en moque, soit cela l’isole. Dans tous les cas, ça ne sert à rien !

Le COIN comme espace de « RESSOURCE » et non d’isolement


 
Quand le coin se transforme en « espace calme » pour s’apaiser, se ressourcer, alors là, ça peut être véritablement intéressant. Un enfant qui a du mal à canaliser son énergie par exemple, peut avoir un espace dédié à l’expression de cette énergie. Il nous arrive à la crèche de proposer à un enfant trop « excité », d’aller dans un espace à part, afin de libérer ses tensions motrices. Un enfant en colère également, peut être mis à part, afin de ne pas faire mal aux autres ou à lui-même. Mais tout en étant accompagné, afin de pouvoir évacuer toute sa colère et trouver ensuite un apaisement dans les bras de l’adulte. Ce sont des exemples pour montrer que le « coin » comme punition et mise à l’écart, seul, sans accompagnement, n’est pas utile ni bénéfique pour un enfant. Néanmoins, isoler un enfant notamment en collectivité, peut être nécessaire, mais cela se fait dans des conditions d’accompagnement et non de punition ! La nuance est là.
À la maison, un enfant pris dans sa colère, dépassé, et devenant « agressif » (il tape son parent par exemple) : il peut lui être proposé d’aller dans sa chambre pour pouvoir exprimer toute cette colère (pourquoi pas aller taper dans un coussin ?), dans son espace à lui. Le but étant de trouver ensuite un apaisement, et pouvoir en rediscuter avec son parent.
A la crèche, nous utilisons un « coussin de la colère », facilement identifiable par l’enfant (c’est un coussin rouge, qui reprend l’émotion de la colère). Ce dernier est proposé à l’enfant lorsqu’il est frustré ou énervé, et lorsque nous sentons qu’il a besoin de décharger des émotions négatives. Ce coussin sert de « défouloir » : l’enfant peut le jeter, le taper avec les mains, les pieds, le mordre, etc. L’adulte est là pour accompagner l’enfant dans l’évacuation de sa colère et de l’énergie motrice qui va avec. Il est assez bien investi par les enfants plus grands. Parfois ce coussin devient un jeu, jeu pendant lequel l’enfant a le droit de donner des coups et se défouler. Dans tous les cas, il est bien identifié comme « le coussin de la colère » en cas de besoin !
L’accompagnement de l’enfant dans la compréhension de ce qu’il a le droit ou non de faire, de ce qui est repréhensible ou pas, se fait dans un climat bienveillant, et non empreint de cris. C’est cette bienveillance et cette compréhension des besoins de l’enfant, de ses émotions, qui est efficace et va permettre à l’enfant de se construire, intégrer les règles et interdis, et de gérer ses émotions peu à peu.
Aurélie Bazin,
Educatrice de jeunes enfants
 
 
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