L’agressivité de l’enfant

agressivité de l'enfant

Après avoir travaillé sur ce thème en équipe lors d’une réunion pédagogique, nous vous proposons de rendre compte de l’issue de notre réflexion et de notre travail. L’agressivité de l’enfant est en effet un sujet incontournable en crèche car la collectivité pour les enfants de moins de trois ans est difficile à vivre. Être avec les autres, partager le même espace, les jeux, une certaine proximité, etc. peut générer ce que l’on appelle des « conduites agressives ». En plus de cela, les enfants passent par des phases dans leur développement pendant lesquelles ils s’affirment, se défendent, ou « attaquent » pour se faire une place dans le groupe.
Les enfants poussent, tapent, griffent, ou même mordent les autres enfants… cela fait partie des interactions « normales » entre enfants. Il est à noter ici qu’il n’y aucune intention de faire mal, ces attitudes sont des comportements « réflexes », instinctifs, qui ont parfois pour but de susciter des réactions. Les enfants en dessous de trois ans sont en effet dans la découverte de leur environnement, du monde dans lequel ils vivent, des autres, etc. Ils se construisent en faisant des expériences et en apprenant des réactions des adultes. À nous de les accompagner dans leur processus de socialisation, en leur montrant le chemin de ce qui est possible de faire ou non, de ce qui est interdit, de ce qui est bien/mal. C’est sur l’adulte (parents et/ou professionnels) que repose cette tâche de réguler les interactions entre enfants, et de leur apprendre à réguler d’eux-mêmes leurs relations avec les autres.
Nous proposons tout d’abord des éclairages un peu théoriques sur le « pourquoi ? » les enfants ont des conduites agressives. Puis nous vous présentons l’accompagnement que nous pouvons fournir aux enfants.

I – Les conduites agressives


 
Tous les enfants passent par des phases pendant lesquelles ils poussent, ils tapent, ils griffent, ou même mordent… et cela dure un petit moment. Parfois, nous ne comprenons pas vraiment le motif, car il n’y a aucune raison apparente. À quoi peuvent être liés ces actes que l’on considère comme « agressifs » ? Voici quelques hypothèses qui nous permettent d’analyser ces comportements afin de trouver des réponses adaptées.

1. Découverte de l’environnement, de l’« autre » (expériences des bébés)

Les approches que l’on considère comme « agressives » peuvent être considérées comme des façons de toucher autrui, entrer en contact, susciter des réactions, découvrir les siennes. Prenons l’exemple d’un enfant de 10 mois ou 1 an qui tire les cheveux d’un autre enfant qui est à proximité. L’intention n’est pas ici de faire du mal à l’autre, il s’agit d’une découverte : les cheveux et ce que l’on peut faire avec.
Le résultat suscité par cette expérience permet à l’enfant de découvrir aussi autrui, et l’aide à comprendre que les actions sur l’autre provoquent des réactions. Comment réagir ici en tant qu’adulte ? L’objectif n’est pas de laisser l’enfant faire du mal à l’autre, mais d’avoir à l’esprit que certaines conduites entrent dans le registre de la découverte de soi et de l’autre. L’attitude à avoir est alors d’apprendre à l’enfant avec calme mais aussi fermeté qu’il ne faut ni griffer, ni tirer les cheveux, ni mordre, etc… le but est d’aider l’enfant à passer de l’acte à la parole. En nommant la réaction de l’autre, en expliquant à l’enfant que tirer les cheveux fait mal et provoque des pleurs, cela lui permet de mieux comprendre le monde qui l’entoure et les autres.

2. À partir de 18 mois : relations avec les autres (affirmation de soi, conflits, etc.)

À partir de 18 mois les enfants entrent de plus en plus en relation entre eux. Les interactions peuvent être positives, mais également « négatives ». Les enfants sont attirés par les autres et passent des « câlins », à « je pousse » ou « je tape ». Ils découvrent les réactions des autres face à leurs actions. Là encore, il s’agit d’expériences des enfants les uns sur les autres. Il s’agit du processus de socialisation : j’apprends à être avec les autres, j’essaye de voir quel impact je peux avoir sur l’autre (je pousse : comment il réagit ? je recommence : est ce qu’il réagit de la même manière ?). L’accompagnement ici est de nommer, d’être médiateur dans les relations entre enfants. En apprenant par exemple à l’enfant « agressé » à dire « non », à dire à l’autre que « ça fait mal ».

3. Mal-être, contexte familial difficile, empreint de violences

Les actes agressifs peuvent également être l’expression d’un mal être de l’enfant, d’une véritable souffrance. Ils sont souvent le reflet de ce que l’enfant voit dans un contexte familial compliqué ou instable. En effet, l’enfant imite les adultes, ils sont ses modèles. Des parents qui se disputent, qui ont des paroles ou des gestes « violents », cela montre à l’enfant que la violence et les gestes agressifs sont un moyen de communiquer « normal ». Ainsi, dans ses propres relations avec les autres, il est possible qu’il reproduise ce qu’il voit.
Il est aussi des destructions qui sont malheureuses, l‘expression d’un ennui, d’une détresse, ou pire d’un « fracas » (selon Boris Cyrulnik). Les conduites agressives peuvent permettre à l’enfant de soulager un vide intérieur, qui prendrait racine dans un environnement peu stimulant. L’enfant peut agir ainsi pour exprimer un mal être. L’aspect répétitif de ces conduites nous alerte comme des signaux de détresse. L’enfant s’enferme dans ce que Denis Mellier a nommé « la relation privilégiée négative », une relation faite d’agressivité, de « négatif ». Le rôle de l’adulte est d’aider l’enfant à valoriser ce qu’il y a de positif dans ses potentialités, et il y en a forcément. Les professionnels en crèche font abstraction de ce qui peut se passer à la maison (un contexte familial compliqué) pour s’occuper de la qualité de la journée ou des quelques heures passées avec cet enfant au sein de la crèche. Ce temps, même bref, est tout bénéfice pour l’enfant qui peut alors éprouver qu’il existe d’autres façons d’être en relation, que le conflit n’est pas l’unique moyen de communiquer, que l’attaque n’est pas toujours nécessaire. Un accueil de qualité est dû à ces enfants dont le milieu familial est difficile. Dans l’ignorance de ce qui se joue à l’extérieur de la crèche, c’est à tous les enfants que la qualité est due, car parfois la détresse est invisible en dehors de l’intimité familiale.

4. Collectivité = promiscuité / place dans le groupe / besoin d’individualité

Outre les situations d’ennui et d’inaction, celles de surnombre et de promiscuité sont particulièrement sensibles en crèche. En effet, nous observons souvent que si l’espace de sécurité intime est franchi, les enfants manifestent des réactions de protestation, de fuite ou d’attaque. Nous le constatons dans les moments pendant lesquels les enfants sont rassemblés (pour lire une histoire par exemple, pour se laver les mains…). Trouver sa place dans le groupe est une tâche difficile pour le jeune enfant, vite débordé par les autres. Notre rôle en crèche est alors d’aider chacun à se faire une place, c’est de reconnaitre l’individualité de chaque enfant, lui donner le statut de personne à respecter.

5. Besoins moteurs – taper, jeter, etc….

Ce qu’il faut savoir dans tous les cas de figure, c’est que l’enfant n’a pas l’intention de faire du mal. Il est dans une approche d’attaque, de défense de ses intérêts, mais son objectif est de « repousser », manifester quelque chose ; Ia notion de « faire du mal » n’est pas présente, il est bien trop petit pour élaborer tout cela et ne distingue pas encore le bien du mal. Par notre accompagnement en tant qu’adulte, il saura que c’est mal de faire ça et que c’est strictement interdit. Il est encore en construction, dans l’élaboration de ses réactions et la gestion de ses émotions.
Un enfant qui a sans cesse des comportements agressifs doit questionner l’adulte, tout autant qu’un enfant qui ne manifeste aucun signe agressif ; car c’est quelque chose de normal dans le développement de l’enfant lorsqu’il est en contact avec d’autres enfants et surtout lorsqu’il est en collectivité.

II – Notre accompagnement à la crèche


 
Souvent, l’agressivité est bannie, elle est mal perçue par les adultes (professionnels et parents). Alors qu’elle a besoin de s’exprimer comme toutes les autres émotions, telles que la joie, la tristesse. Néanmoins elle doit être exprimée de manière convenable. Il est alors intéressant de réfléchir à ce qui peut être mis en place pour que l’enfant puisse exprimer cette agressivité de manière permise et non contre les autres enfants ; par les jeux, par l’aménagement de l’espace, etc.

• L’intervention de l’adulte sur le moment / médiation

À la crèche, lorsqu’une professionnelle est face à des conduites agressives entre enfants, sa première réaction est d’intervenir afin de stopper la scène. Le « stop » est un moyen efficace pour arrêter une interaction négative en cours entre deux enfants. Puis nous essayons de questionner, de comprendre ce qui a pu déclencher cette réaction, tout en lui rappelant l’interdit (de pousser, de taper).
Ensuite, nous donnons à l’enfant d’autres solutions, outils pour qu’il s’exprime ou se défende autrement. S’il s’agit d’une colère, nous pouvons proposer à l’enfant de taper dans un coussin par exemple, afin d’évacuer cette émotion qu’il n’arrive pas à gérer.
Nous ne demandons pas à l’enfant « agresseur » de dire pardon à l’autre enfant. Pourquoi ? tout simplement parce que la notion de réparation n’est pas compréhensible pour l’enfant encore… lui demander de dire pardon n’a pas de sens pour lui, surtout s’il n’a pas eu l’intention de faire mal (tout comme pour demander de faire un bisou).
Nous sommes également attentives à ne pas coller d’étiquette à un enfant, à ne pas le considérer que par ses actes négatifs. En effet, nous portons une attention particulière à ce que chaque enfant soit valorisé et ne soit pas enfermé dans une image qui lui colle à la peau. Cela peut générer ce que l’on appelle « l’effet pygmalion » : celui qui prouve que la personne stigmatisée a de grandes tendances à se conformer à ce qu’on dit d’elle.

• Le travail d’observation

L’observation fine permet de voir ce qui peut se passer pour l’enfant. Parfois une conduite agressive d’un enfant vers un autre peut apparaître sans raison sur le moment. Mais si nous avons observé l’enfant sur toute la journée, peut être avons-nous relevé que plus tôt dans la journée, cet enfant qui a été « agressé » avait « volé » le jeu de l’autre quelques heures plus tôt.
Les réactions des enfants sont parfois en décalage avec les actions qui ont eu lieu plus tôt. Ce même enfant qui avait volé son jeu s’est approché de lui à ce moment-là. Le souvenir et la peur peuvent avoir entrainé alors une réaction d’agressivité. Lorsqu’il y a des conduites agressives répétitives nous nous concentrons sur cet enfant, et notons fréquemment des observations, afin de pouvoir relever où peut être la problématique et de tenter d’y répondre.

• Réflexions sur l’organisation et l’aménagement de l’espace

Nous avons bien conscience que parfois c’est l’organisation qui faille, et non l’enfant : trop de mouvements d’adultes, pas assez de disponibilité à un moment donné… Les moments de transition sont les plus délicats et sujets à ces moments d’agressivité. Nous sommes alors attentives dans l’équipe à ces moments-là, et nous prenons du recul sur l’organisation, afin de pouvoir réaménager nos postures si besoin, et de garder une attention individuelle et constante sur les enfants.
Parfois l’espace est trop exigu, étroit, alors que les enfants ont besoin de beaucoup de place pour se déplacer. Nous veillons alors à ce que l’espace soit suffisamment grand et ouvert afin que les enfants ne se retrouvent pas dans une proximité « forcée ». Lorsque les enfants expriment un grand besoin moteur, nous leur proposons au maximum de sortir sur la terrasse, ou nous leur prévoyons un espace dédié au « défoulage » : un espace vide pour sauter, se déplacer ou bien un espace de psychomotricité avec les blocs moteurs ou des parcours moteurs.

• Des jeux et du matériel pour se défouler

Les jeux d’imitation et d’imagination sont très bénéfiques pour les enfants plus grands. Ils peuvent rejouer des scènes en utilisant des poupées par exemple, ou des figurines. Nous les observons parfois se fâcher sur des poupées, ils expriment ainsi des scènes déjà vécues ou observées. A ce stade-là, l’enfant nous montre qu’il a compris les règles, les interdits, et il les intègre peu à peu.
En dehors de ces jeux d’imitation et de « faire semblant », nous prévoyons des temps « moteurs » dans la journée, car un enfant de moins de trois ans a besoin de bouger. Lorsqu’il est trop restreint dans ses mouvements, il peut décharger son énergie de manière « agressive ». Nous prévoyons alors des temps pendant lesquels les enfants peuvent vraiment courir, se défouler librement en toute sécurité.
Nous tentons de répondre aux besoins d’expression de l’enfant en les orientant vers ce qu’il est possible de faire. Si un enfant a besoin de taper, mordre, nous pouvons l‘orienter vers une poupée prévue à cet effet ou un coussin ; en tout cas, il faut que ça sorte ! alors autant que ce soit sur des objets sur lesquels cela est acceptable ! Tout ça est, bien sûr, toujours accompagné par la parole afin que l’enfant intègre les règles et les interdits de la vie en société.

CONCLUSION


 
Notre accompagnement en tant que professionnelles de la petite enfance est spécifique au lieu particulier de la crèche, où un certain nombre d’enfants est réuni dans un même endroit. Néanmoins, cela peut donner des pistes de réflexion aux parents, lorsqu’ils ont à gérer des situations de conflits avec leur enfant ou entre enfants (dans la famille, dans un parc, etc…). Dans tous les cas, ce qu’il est important de retenir c’est que l’on ne parle pas d’enfant « méchant » ou « violent ». Car il n’existe que des enfants qui sont dans la découverte du monde qui les entoure, avec son lot de limites d’interdits, d’interactions, etc… coller une étiquette à un enfant revient à ne le considérer que comme tel et l’enfermer dans des comportements négatifs. Il est essentiel de pouvoir voir l’enfant qui tape autrement qu’un enfant qui tape !
Pour finir il est important de préciser que la cohérence dans les propos des adultes est essentielle pour que l’enfant s’y retrouve (que ce soit à la maison ou à la crèche.) Dire les mêmes choses, les mêmes mots, avoir le même accompagnement est nécessaire pour que l’enfant puisse apprendre et intégrer les règles sociales. C’est à force de répétitions qu’il finira par comprendre et par se servir des mots pour réguler ses conflits
Aurélie Bazin, éducatrice de jeunes enfants
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